Economie

Haiti, 10e pays le plus corrompu au monde. Les impacts de la corruption sur l’exercice et la jouissance des droits humains en Haiti ?

Selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) publié ce mardi 31 janvier 2023 par l’ONG Transparency International, Haiti est classée 10e pays le plus corrompu au monde dans l’année 2022 sur une liste de 180, avec un score de 17 sur 100. C’est le plus bas score obtenu par le pays depuis ces 7 dernières années. En fait, dans les années 2016, 2018 et 2021 Haiti avait enregistré un score de 20 sur 100, contre 18 en 2019 ainsi qu’en 2020 et 22 en 2017 (qui est le plus haut score obtenu par Haiti durant cet intervalle de temps). Bien qu’on puisse dire que cet indice est un indicateur de sensation assis sur l’image envoyée par l’Administration en place au lieu d’être un calcul basé sur des éléments concrets ; mais il nous offre une idée assez acceptable sur l’état corruptible de certains pays. Maintenant, allons-nous voir dans quelle mesure le fléau qu’est la corruption peut entraver l’exercice et la jouissance des droits humains en Haiti. Pour ce faire, nous devons exposer d’abord, même si c’est de facon très brève, ce que c’est la corruption.

Définition de la corruption

Depuis l’antiquité, le phénomène de la corruption attire les esprits les plus brillants. À l’époque, la corruption était considérée comme un péché, l’indice d’une déchéance par rapport à une norme morale, vu le contexte théologique occidental du moment. Néanmoins, au cours des ans, le sujet de la corruption a évolué jusqu’à ce que maintenant il y a autant de définitions de ce phénomène que d’approches. Par conséquent, la recherche d’une définition de la corruption est compliquée, écrit Théobald Roddj (1990), du fait qu’elle est indissociable des questions touchant à la morale publique et à la morale en général. L’une des définitions les plus connues et les plus utilisées de la corruption est celle de l’ONG Transparency International (2002, p.41) qui la définit comme étant « l’abus d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées ».

De là et tant, Dennis Thompson (1995 ; 2005) nous invite à prendre un peu de distance par rapport à cette définition très majoritairement adoptée. Pour lui, on doit préconiser une approche institutionnelle de la corruption. S’inscrivant dans la même démarche, Anastassiya Zagainova (2012, p.16) prône une approche dite institutionnalisée de la corruption. Elle la définit comme « un ensemble de pratiques érigées en règles normatives tacites, consistant en une utilisation par des personnes privées ou publiques de positions de pouvoir (autorité, capacités, responsabilités, etc.) dans le but privé d’acquisition de biens, d’actifs, d’avoirs, de statuts, etc. mais surtout de pouvoirs d’influence (capacités d’agir et de faire agir) ». Étant donné que nous sommes en train de traiter un sujet ayant rapport au Droit, nous adoptons le sens juridique couramment admis de la corruption. Dans ce champ, cette dernière est considérée comme « un acte par lequel une personne investie d’une fonction déterminée, publique ou privée, sollicite ou accepte un avantage en vue d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte entrant dans le champ de ses fonctions ; la corruption apparaît ainsi comme une violation du devoir de probité » (Zagainova, op.cit., p.12).

Les méfaits de la corruption sur les droits humains

Pour que la machine de la corruption soit en branle, il faut que certaines informations ne soient pas disponibles au public et des règles, des régulations ou des décisions gouvernementales ne soient pas claires. Autrement dit, la corruption ne marche pas de pair avec la transparence. En conséquence, la corruption compromet le droit à l’information de la population. À côté de ça, sans l’information, les citoyens ne peuvent vraisemblablement pas demander aux élus qu’ils ont voté de rendre compte de leurs actes. C’est-à-dire ils ne vont pas jouir de leurs droits civils et politiques. En plus, la corruption affaiblit les institutions démocratiques. Les administrateurs publics ne veuillent pas aux intérêts du collectif quand ils prennent une décision, ce qui amène la population à retirer leur soutien à ces dernières. Dans ce genre de situation, le droit des citoyens de participer à la gouvernance de leur pays est bafoué.

En sus, les pratiques corrompues détournent des deniers publics destinés à garantir les droits à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, au logement… pour la communauté. La corruption affecte particulièrement les plus démunis et les plus marginalisés, qui sont excessivement tributaires des services publics. Ce fléau effectue également une discrimination dans l’accès aux services publics au profit de ceux qui ont la possibilité d’offrir des pots-de-vin et qui sont prêts à le faire.

En fin de compte, la corruption porte atteinte au droit à la justice et surtout au droit à l’égalité devant la loi et à un procès équitable des individus. En effet, dans un pays où la corruption envahit l’administration judiciaire, la justice sera donnée à ceux qui ont la possibilité de soudoyer des juges, des commissaires, des avocats, des agents de police et des enquêteurs. Dans ce cas, les pauvres n’auront jamais accès à ces droits, vu qu’ils ne peuvent se permettre d’offrir ou de promettre des pots-de-vin. Cela va contribuer à créer un climat d’impunité par le fait que les actes illicites ne seront pas systématiquement punis et que les lois ne seront pas continuellement respectées.

La corruption face aux droits humains en Haïti

À cause de la corruption (exonération accordée de façon illégale ou vol d’une partie des fonds collectés), l’État haïtien n’arrive jamais à collecter toutes les sommes qu’il aurait dû percevoir pour améliorer le sort des habitants, surtout les plus vulnérables. D’autre part, des dons et prêts que nous avons reçus de l’International sont dilapidés. De cette manière, la corruption empêche aux dirigeants, par manque de moyens financiers, d’assurer un ensemble de biens et de services pour la population (notamment l’école, l’hôpital, la sécurité sociale, etc.). Dans ce cas, les citoyens qui se sont trouvés dans une situation précaire (soit à cause de la pauvreté ou d’un handicap) risquent de vivre dans des conditions inhumaines. Car, ceux-ci sont fortement dépendants des services de l’État.
C’est pourquoi les droits à l’alimentation, à l’eau potable et à l’éducation des Haïtiens sont foulés aux pieds. À ce propos, le directeur du Programme Alimentaire Mondial (PAM), Jean-Martin Bauer, avait mentionné que pour le mois d’octobre l’an dernier qu’environ 4,7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, connaissaient des niveaux d’insécurité alimentaire aiguë.

Alors qu’en 2021, avant que le séisme du 14 août a basculé près d’un million de sinistrés dans l’insécurité alimentaire, d’après un rapport soumis par le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH), 4,4 millions de personnes s’étaient déjà trouvées dans cet état lamentable. En 2020, ce chiffre était de 4,1 millions, contre 3,7 millions en 2019.
Maintenant, pour la question de l’eau potable, déjà en 2021, elle n’était pas accessible à plus d’un tiers de la population et deux tiers ne bénéficient que d’un accès limité, voir nul, à des services d’assainissement. Pour le reste, un peu moins de la moitié de jeunes de 15 ans et plus n’ont pas accès à l’éducation scolaire. Pour ceux qui ont l’accès, ils n’ont pas pu aller à l’école pendant plusieurs mois d’affilée au cours de ces dernières années. Tandis qu’il soit clairement mentionné dans la Constitution de 1987 amendée que la première charge de l’Etat et des collectivités territoriales c’est de mettre l’école gratuitement à la portée de tous. Et que l’enseignement primaire est obligatoire sous peine de sanctions à déterminer par la loi.

La corruption freine également le droit qu’ont les citoyens de vivre en paix et en sécurité. Dans cette veine, on peut se rappeler du rapport du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) dans lequel est noté que 1074 homicides intentionnels ont été réalisés dans le pays entre janvier et août 2021, et 944 sur la même période en 2020. Pour ce qui concerne le kidnapping, d’après des rapports du CARDH, 796 cas de kidnappings ont été recensés en Haïti durant la période allant du 1er janvier au 15 décembre 2020. Ce nombre était passé à 949 durant cette même période dans l’année 2021. Pendant que pour les deux premiers trimestres de l’année en cours, au total, 551 cas d’enlèvement ont été enregistrés.
On a raison de dire que c’est la corruption qui est la cause de la violation de ces droits. Vu qu’il est plus qu’une évidence que la forte circulation d’armes illégales sur le territoire est due à la connivence des autorités douanières et portuaires avec les gangs armés. Alors qu’il revienne à ces dernières de superviser toute entrée d’objet dans le pays. On peut constater aussi un certain laxisme auprès du commandement de la police. Or, l’institution policière a pour mission de protéger des vies et des biens. Le cas pire, c’est que des organisations de droits humains relatent que des gangs armés travaillent à la solde des élus et des fonctionnaires publics. Malgré la complaisance des Responsables dûment remarquée, presqu’aucun d’entre eux n’est sanctionné par la justice. Cela montre que le système judiciaire est corrompu. La corruption qui y sévit fait que le droit à la justice dont disposent les haïtiens n’est exercé que très peu. Même les citoyens qui ont un rang social élevé de par leur revenu et leur niveau d’éducation, ne jouissent pas de ce droit, n’en parlons pas pour les marginalisés. Une preuve à cela c’est le nombre de personnes en détention préventive prolongée. D’après le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), au cours de l’année judiciaire 2021-2022, le pourcentage d’individus en détention préventive prolongée était de 82%.

En abusant du fait qu’il est au pouvoir, ces dernières années, les gouvernements en place piétinent pareillement le droit de manifester dont disposent les citoyens. Les manifestations contre le pouvoir en place continuent d’être réprimées par un recours excessif à la force. De temps à autre, des médias, des organisations de droits humains ont signalé l’usage abusif de gaz lacrymogène par les agents de la police. En plus, on ne peut pas compter le nombre de morts et de blessés par balle, ainsi que des arrestations arbitraires qui sont survenus lors des derniers mouvements de protestation.
Pour en finir, depuis 2017, les droits de vote, de se porter candidat et de participer aux affaires publiques sont interrompus dans le pays, un accroc aux principes démocratiques. Et si l’on considère les dernières élections présidentielles réalisées, on peut voir que les citoyens solidarisent très peu aux institutions démocratiques. Dans les élections du 28 novembre 2010, du 20 mars 2011, du 25 octobre 2015 et 20 novembre 2016, les taux de participation de l’électorat étaient successivement 22,87%, au plus 20%, autour de 30% selon l’Observatiore citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie (OCID) et 21%. Fort de tout cela, le droit des citoyens de participer à la gouvernance de leur pays a été exercé faiblement avant d’être rompu depuis un certain temps. Ceux-ci peuvent expliquer non seulement par le fait que nombreux haïtiens n’ont pas de carte électorale, mais aussi par le fait que les citoyens n’ont pas vu le changement de leur vie en dépit de la présence des élus, sans oublier les scènes de violence qui accompagnent souventes fois le déroulement des joutes électorales.
Toutefois, s’il est certain que la corruption contribue dans ce chaos généralisé que nous venons d’exposer, il n’en reste pas moins vrai que ce n’est pas ce fléau à lui seul qui explique tout cela ; bien qu’on pourrait dire que la corruption est la mère de tous les vices. La création même de notre État, l’instabilité politique, les aléas naturels sont entre autres les facteurs qui peuvent faire partie du cocktail expliquant la violation constante et systématisée des droits humains en Haïti.

Jonathan Gédéon, étudiant finissant en Sciences Économiques et en Sciences Comptables.

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